Le marché du travail en France n'est pas plus rigide qu'ailleurs



Les ordonnances concernant le marché du travail du gouvernement Macron viennent d'être divulguées. Les cinq ordonnances ont pour objectif de "flexibiliser" le marché du travail, ce qui signifie, en langage non Orwellien, rendre les licenciements plus faciles. En effet, une des ordonnances limite la pénalité que doit payer une entreprise quand elle licencie de façon abusive (plafonnement prud’homale). Il est également possible pour un employeur de baisser les salaires ou de contraindre un salarié à la mobilité, pour des raisons de "nécessités  liées au fonctionnement de l'entreprise", ce qui, de façon indirecte, facilite le licenciement d'un salarié qui ne voudrait ou ne pourrait pas se soumettre à ces contraintes. Le président et son gouvernement ont déclaré à plusieurs reprises que ces ordonnances étaient nécessaires parce que le marché du travail n'est pas assez flexible en France, surtout en comparaison d'autres pays européens. 

La signification de cette assertion est qu’en France il est compliqué de licencier. Parce qu’il est compliqué de licencier, les entreprises sont réticentes à embaucher de nouveaux employés, même quand ça leur serait profitable, parce qu’elles ont peur de ne pas pouvoir les licencier si elles en ressentent le besoin dans le futur. Permettre de licencier plus facilement devrait permettre d’embaucher plus facilement. Et donc de diminuer le chômage.

Il est quand même assez curieux que le gouvernement répète continuellement que le marché du travail français est spécialement rigide sans en donner aucune preuve. Peut-être parce que ce n'est pas vrai? 

Le marché du travail est plus flexible en France qu'en Allemagne 

Le président, le gouvernement, et les media, aiment à comparer la France à l'Allemagne, et à présenter cette dernière comme l'élève modèle en Europe: les nouvelles et futures lois du présent gouvernement devraient permettre à la France de tendre vers une économie à l'allemande. Il faudrait, pour atteindre les même chiffres du chômage qu'en Allemagne (qu'on discutera dans un prochain billet), copier l'Allemagne. Et comme le marché du travail en France serait moins flexible qu'en l'Allemagne, il faudrait le flexibiliser.


Pourtant c'est faux. Le marché du travail en Allemagne est plus rigide qu'en France du point de vue des emplois permanents, c'est à dire, grosso modo, des CDI, qui sont les emplois les plus nombreux dans les deux pays. L'OCDE construit 5 indices qui prennent en compte la facilité avec laquelle un employeur peut licencier un ou des employés embauchés en contrats permanents. Les 5 indices prennent différentes éléments en compte, comme la durée des préavis, le niveau des indemnités de licenciement ou la définition de ce que constitue un licenciement abusif. Sur ces 5 indices, 4 sont plus élevés en Allemagne qu'en France, ce que signifie que la rigidité est plus grande en Allemagne qu'en France. Un seul indice, sur les 5, est légèrement plus élevé en France.



De la même manière, l'Italie, les Pays Bas ainsi que le Portugal ont un marché plus rigides que la France d'après la plupart des indices. Seul l'Espagne, au niveau de chômage abyssal, a une flexibilité plus importante qu'en France.

La plupart des ordonances ayant pour objet les CDI, donc les contrats permanents, auxquels les indices des graphes ci-dessus s'appliquent, il est curieux qu'on ne nous ait pas présenté de justification à la prétendue rigidité du marché du travail français afin de justifier ces ordonnances.

Qu'en est-il des contrats temporaires, c'est à dire les CDD. Peut-être que ce sont en fait les contrats les plus nombreux en Allemagne et que ceux-ci sont plus flexibles qu'en France. Cela pourrait expliquer qu'en moyenne, la rigidité est plus élevée en France qu'en Allemagne. Là encore, ce n'est pas le cas. L'OCDE construit deux indices concernant la rigidité des contrats temporaires. Ils sont effectivement moins élevés en Allemagne qu'en France. Cependant, ces contrats ne constituent aucunement une majorité d'emplois en Allemagne. Toujours d'après l'OCDE, seulement 13,1% des emplois salariés en Allemagne sont des contrats temporaires, contre 16,2% en France. S'il on devait construire un indice global de la rigidité du marché du travail on obtiendrait donc un indice plus élevé en Allemagne qu'en France.

Même si ces indices de rigidité sont très imparfaits, ils ont l'intérêt de nous enseigner une leçon simple: il est très facile, pour un président ou un gouvernement, de surfer sur des idées préconçues, souvent relayés par des medias complaisants, sur la situation économique ou législative d'un pays et d'utiliser ces préconceptions pour justifier des politiques impopulaires. "Le marché du travail est très rigide en France, comme vous le savez, il faut donc le flexibiliser". Et bien il semble que non, nous le savons pas, l'OCDE ne le sait pas, les données existantes ne le savent pas, au contraire.  S'il y a un problème du marché du travail en France, ce pourrait-il que ce soit, au vu des données, qu'il est déjà trop flexible? Et ne serait-il pas temps que le président, le gouvernement, l'Assemblée nationale, et l'ensemble du corps législatif basent leurs mesures sur des données existantes et non sur des mythologies? 

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